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Nous sommes un réseau grandissant d'activistes, de défenseurs de la terre, de collectifs, et d'économistes qui se réunissent pour reprendre le pouvoir sur le système financier.

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Le Manifeste de Bâle

LE FORUM DES PEUPLES POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE ET LA RÉGULATION FINANCIÈRE

En juin 2023, des défenseurs de l'environnement, des activistes climatiques et des experts financiers se sont réunis à Bâle pour discuter et élaborer des plans collectifs visant à contrôler la finance fossile, tout en remettant en question une institution financière majeure - la Banque des règlements internationaux (BRI). L'un des résultats de la réunion a été le Manifeste de Bâle, dans lequel les différentes personnes à travers les mouvements de divers points du globe expriment des demandes unifiées qui impliquent le changement systémique de notre système financier en même temps que la justice climatique.

Bulletin

Du 23 au 25 juin 2023, les hauts fonctionnaires de plus de 60 banques centrales du monde entier se sont réunis à Bâle, en Suisse, pour la réunion annuelle de la Banque des règlements internationaux (BRI), historiquement la première enclave du capitalisme financier international. Dans cette "banque des banques centrales", des représentants de différents pays ont discuté, comme chaque année, en comités restreints, à huis clos, sans ordre du jour ni procès-verbal public, des lignes directrices et des recommandations qui régissent le système financier mondial et jettent les bases de la gouvernance monétaire de la planète - une planète qui, malgré tout le fondamentalisme à court terme de la croissance indéfinie et le mantra de la stabilité financière, connaît aujourd'hui des vagues de crise, de chaleur, de dépossession et de violence sans précédent.

Parallèlement, une large coalition de mouvements sociaux et environnementaux a lancé le Forum des peuples pour la justice climatique et la régulation financière avec une demande commune : mettre fin au financement de l'extractivisme des combustibles fossiles. Des délégués de plus de 30 pays de cultures politiques différentes, du Nord et du Sud, d'âges, de connaissances et d'expériences de lutte différents se sont réunis dans cet espace pour discuter des problèmes communs, des causes profondes et des stratégies possibles pour une action commune face à la catastrophe climatique, à la dépossession et à la précarisation des peuples et à la destruction de leurs écosystèmes et de leurs moyens de subsistance. Nous avons dénoncé le caractère antidémocratique et colonial des institutions financières qui structurent le capitalisme transnational actuel et soutiennent l'accumulation et la concentration du capital par la destruction des communautés, des écosystèmes et de la planète. 

Nous avons particulièrement souligné le rôle fondamental joué par la BRI dans la perpétuation systématique de l'extractivisme énergétique et l'intensification du changement climatique. La BRI a longtemps opéré en silence, à l'abri du regard du public et sans rendre de comptes, niant sa coresponsabilité dans la dévastation de la planète et arguant que la stabilité financière et la politique monétaire sont des questions techniques, des questions neutres qui n'ont pas d'influence directe sur le changement climatique et la violation des droits sociaux et environnementaux. Bien sûr, les débats récents ont inclus des "efforts" pour placer le climat et la planète au centre de leurs décisions institutionnelles. Mais jusqu'à présent, cela ne s'est traduit que par de faibles mesures de divulgation, une adhésion volontaire à des forums et des expédients trompeurs tels que les obligations d'investissement vertes qui continuent à réduire nos vies à des données sur les profits, les risques et les incitations économiques pour le grand capital, intensifiant la marchandisation de la nature et renforçant les ajustements structurels qui augmentent les inégalités et l'asservissement des peuples. Ses normes de transparence, de réglementation et de supervision bancaire n'ont servi qu'à garantir la stabilité du grand capital et des intérêts des entreprises, et non celle de nos mondes et de nos sociétés. Le Forum des Peuples a montré que la destruction et l'exploitation capitalistes ne sont ni inévitables, ni purement techniques, mais relèvent d'une décision politique. Mais ni cette institution, ni aucune autre institution de la gouvernance financière internationale ne passe inaperçue. Si elles veulent continuer à financer la catastrophe en cours, elles devront faire face à notre résistance.

Le Forum a commencé à tisser une plateforme translocale pour organiser diverses actions contre le système financier, en avançant vers l'autodétermination économique des peuples et la démocratisation et la décolonisation de nos sociétés. Comme premier pas vers la récupération du crédit en tant que bien commun, nous cherchons à mettre un terme définitif et systématique au financement de l'extractivisme des combustibles fossiles. L'industrie fossile est particulièrement pertinente en raison du rôle qu'elle joue non seulement dans le changement climatique, mais plus fondamentalement dans la reproduction et l'expansion du système économique destructeur actuel. Il est urgent et nécessaire aujourd'hui de mettre un terme aux flux financiers de l'industrie fossile. Mais il ne faut pas perdre de vue que changer de ressources, de zones et de technologies d'extraction n'est pas synonyme de changement de modèle. L'extractivisme vert reste de l'extractivisme. C'est pourquoi, au Forum, nous nous battons également pour soutenir les alternatives de subsistance locales, avec la conviction que la transition doit être non seulement ordonnée, mais surtout juste, plurielle, pour et par les communautés. La véritable transition sera la transition économique et écologique de nos modes de vie, construite par le bas, avec la force de nos mouvements.

© Daniel Buergin

PRINCIPES

  1. Un rejet clair de l'économie et de l'écologie néocoloniales, du capitalisme extractiviste et des institutions et politiques financières qui ont longtemps exploité et contrôlé nos sociétés, et qui alimentent aujourd'hui la catastrophe climatique, sociale et environnementale.
  2. Une lutte plurielle pour la vie, pour une planète habitable, pour les droits de la nature, pour l'autodétermination des peuples, pour la défense et la protection des systèmes de connaissance des peuples natifs, indigènes et tribaux, et pour le respect des droits fondamentaux à l'eau, à la terre et au territoire. Et la reconnaissance commune du fait que la lutte pour l'environnement implique la lutte pour les peuples et vice versa : la lutte pour les peuples implique également la défense de l'environnement. Sans écosystèmes, il n'y a pas de communautés, et sans communautés, il n'y a pas d'écosystèmes. 
  3. Une alliance internationale, intersectionnelle et intergénérationnelle de représentants communautaires et indigènes en résistance, de militants pour la justice sociale et environnementale du monde entier, de syndicats, de dirigeants politiques, de groupes de la diaspora antiraciste et de réseaux de solidarité transocéanique, ainsi que d'associations et d'organisations de la société civile qui exercent une pression sur les institutions financières.
  4. Un accent stratégique sur la dénonciation et la pression sur la structure politique qui soutient ce système d'exploitation et d'impunité, composée de banques privées et centrales, d'agences de notation du risque, de sociétés de gestion d'actifs, de compagnies d'assurance et d'institutions de gouvernance multilatérales telles que la Banque des règlements internationaux, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les banques dites "de développement". Également un diagnostic partagé de la coresponsabilité de ces acteurs dans l'établissement de pratiques de crédit et de taux d'intérêt discriminatoires structurellement conçus pour alimenter une croissance constante, l'accumulation et la concentration du capital, l'extractivisme énergétique et des inégalités de plus en plus insoutenables.
  5. Une multiplicité de tactiques incluant, mais sans s'y limiter, la désobéissance civile, les actions directes, le blocage et le sabotage des infrastructures, la défense des intérêts, la production et la diffusion de connaissances, la sensibilisation du public, les campagnes de désinvestissement, la pression médiatique, ainsi que la conception et la promotion de politiques publiques et de mécanismes de régulation.
  6. Une coordination horizontale, décentralisée et autonome
  7. Un appel aux peuples, aux syndicats, aux communautés indigènes, aux communautés de paysans et de pêcheurs, aux dirigeants politiques, aux organisations et mouvements sociaux à s'unir pour affronter le passé et le présent de l'extractivisme colonial, en réclamant le crédit pour le bien commun, en construisant des alternatives locales de subsistance aux États au service des intérêts des entreprises, et en avançant vers la transformation démocratique, c'est-à-dire le remplacement ultime des institutions qui fonctionnent de facto comme le cœur du capitalisme transnational. 

MANIFESTE (RÉSUMÉ)

1) Le Forum des Peuples

Nous, le Forum des Peuples, issus de nos communautés en résistance, de nos diasporas et réseaux de solidarité internationale, de nos mouvements de base pour la justice sociale et environnementale, et de nos organisations de la société civile centrées sur la critique du monde financier, faisons ce manifeste au nom de la vie, de la Terre, de l'autodétermination des peuples, de l'autonomie, de la justice et de la construction des biens communs à travers l'affirmation de la diversité.

Nous, le Forum des Peuples, déclarons aujourd'hui plus que jamais que nous sommes à un point de non-retour : la catastrophe qu'a été et que reste le capitalisme colonial intensifie aujourd'hui sa violence, menaçant l'existence de nos différents modes de vie et la possibilité même de vivre ensemble sur cette planète. 

2) Les problèmes et leurs causes

Ce système économique et financier pervers est le moteur de la catastrophe planétaire. Contre la voix de nos mouvements, contre les savoirs ancestraux et les connaissances scientifiques, contre les sentiments et les convictions de nos peuples, les entreprises transnationales du capitalisme extractiviste continuent d'accumuler et de concentrer le capital, provoquant au passage le chaos climatique, détruisant les écosystèmes, s'appropriant les territoires et dépossédant les communautés en toute impunité. Leurs mécanismes de fonctionnement reposent sur l'oligopole privé qui contrôle le crédit, le financement des banques et des compagnies d'assurance, la complicité des gouvernements nationaux et des institutions internationales, et une conception du risque qui ne prend en compte que le profit privé à court terme et non les risques pour la vie des personnes et de la Terre. 

3) Nos revendications

- Nous exigeons le contrôle de la finance et du crédit par et pour les peuples. Nous luttons pour réécrire les règles et refonder les institutions financières du capitalisme transnational dans une perspective démocratique et décoloniale, au service de la volonté des communautés locales et des écosystèmes, et non des lignes directrices de l'accumulation du capital et de sa logique extractiviste. 

- Nous luttons pour une planète habitable et commune. Pour l'autodétermination des peuples sur leurs corps, leurs terres et leurs territoires. Et contre toutes les institutions, politiques et entreprises qui menacent la Terre et les communautés qui l'habitent.

- Nous nous élevons contre les systèmes d'intimidation et de corruption, pour refonder des sociétés plurielles, délibératives, autonomes et authentiquement démocratiques dans lesquelles les décisions économiques sont prises en faveur des peuples, des écosystèmes et de la planète.

- Nous nous dirigeons vers un monde post-extractiviste dans lequel le chaos climatique est abordé et des progrès sont réalisés vers des transitions énergétiques, écologiques et économiques justes et communautaires.

4) Nos exigences stratégiques à court et moyen terme

Nous appelons les forces de résistance et les personnes et organisations engagées à tisser des alliances, à affronter les institutions qui gouvernent le capitalisme transnational et à lutter pour une transformation radicale de nos systèmes économiques et financiers. Les premiers pas dans cette direction : 

  1. Nous exigeons des institutions financières et de leurs organes de gouvernance multilatérale tels que la Banque des règlements internationaux (BRI), le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB), le Conseil de stabilité financière (CSF) du G7 et du G20 : des réparations, la garantie du droit de dire non, le consentement libre, préalable et éclairé et la consultation préalable obligatoire pour le financement de tous les projets d'extraction. 
  2. Nous demandons l'application de la règle prudentielle "un pour un" aux investissements et aux prêts accordés à l'industrie fossile. C'est-à-dire un cadre réglementaire qui oblige les banques à fournir des garanties à 100 % sur tous les prêts futurs accordés aux entreprises et aux projets liés aux combustibles fossiles, compte tenu du risque inacceptable qu'ils comportent. 
  3. Nous appelons les États-nations et les organismes multilatéraux de gouvernance internationale tels que les Nations unies à soutenir, concevoir et mettre en œuvre des réglementations afin que les droits de l'homme et de l'environnement l'emportent sur le profit public ou privé. Plus précisément, il s'agit d'empêcher tout soutien financier à des activités qui mettent en péril les droits des communautés ou des écosystèmes critiques. 
  4. Nous exigeons des mesures concrètes en vue de la décolonisation des institutions financières internationales, afin qu'elles reflètent un caractère pluriel et démocratique dans leur composition et leurs processus de prise de décision. Plus précisément, nous promouvons la représentation équitable des pays du Sud dans des institutions telles que la BRI ou le FMI et ses comités annexes. 
  5. Nous demandons l'annulation de la dette néocoloniale illégitime qui a été imposée aux pays du Sud.

Afin de Progresser conjointement vers la résolution de ces demandes :

- Nous appelons à des actions et à des mobilisations dans le monde entier pour faire pression sur les banques centrales et les agences de notation afin qu'elles prennent en compte les risques climatiques et sociaux à long terme lorsqu'elles fixent les taux d'intérêt des prêts et des crédits.

- Nous appelons à renforcer les campagnes internationales et intersectionnelles existantes qui luttent contre l'impunité des entreprises, la dette illégitime, la dépossession des terres et des territoires, la pauvreté énergétique et le financement des projets extractivistes.

- Nous invitons tout le monde à renforcer les processus de résistance et les alternatives locales, autonomes et communautaires qui luttent contre le capitalisme vert, pour la réappropriation des moyens de production et de subsistance, et pour la création d'économies autosuffisantes, basées sur le principe de la souveraineté alimentaire. Ainsi que pour la reconnaissance et le respect de l'expérience des peuples indigènes, et le renforcement des modes de vie enracinés dans la protection des cultures et de la nature.  

- Nous dénonçons la persécution et les assassinats systématiques de militants sociaux et de défenseurs de la nature dans le monde entier. Nous appelons à la création de mécanismes de protection et de réseaux de soutien et de solidarité pour garantir leur sécurité.

© Daniel Buergin

MANIFESTE

I. Ce que nous sommes 

Nous venons de lieux différents et lointains. Nos histoires se racontent à des rythmes et dans des langues différentes. Nos terres abritent des mondes, des rêves et des savoirs singuliers, pluriels, fondamentalement irréductibles. Nos eaux coulent chacune à leur manière. Nous sommes les fleuves qui descendent des Montagnes Rocheuses à la Terre de Feu. Nous sommes les récifs qui occupent le Passage d’Isola Verde et le reste de l'archipel des Philippines. Nous sommes le Lac Victoria et les deltas du Rhin. Nous sommes la Forêt Noire, la Huasteca Potosina et la forêt de Hasdeo Arand. Nous sommes la Côte Sauvage du Pondoland, le littoral de la Casamance et les baies de Chimbote. Nous sommes les gens, les oiseaux et les nuages qui font palpiter l'Amazonie et vivent de la Méditerranée. Notre habitat collectif est tissé de la reconnaissance et du respect des lieux où naissent et grandissent nos différences.

Nous partageons peu de choses. Mais si elles sont peu nombreuses, elles n'en sont pas moins décisives. Nous partageons une vie et une planète, et la conviction que prendre soin de l'une, c'est défendre l'autre. Nous partageons des liens de solidarité, de coopération et d'entraide, sans égard pour les distances ou les frontières. Nous partageons des expériences et l’espoir d’un mode de vie collectif, qui ne cache pas et n'annihile pas nos singularités, mais qui les valorise, les préserve et les enrichit. 

Mais nous partageons aussi la même rage et la même douleur. Le sentiment pour la terre quand les tentacules du capital exploitent, dépossèdent, corrompent, détruisent et assassinent. Nous partageons des histoires coloniales où le profit de quelques-uns dépend de la misère de beaucoup d'autres, où l'expansion d'un mode d'existence spécifique est perpétuée par la conquête, la soumission et l'extinction des autres. Nous partageons la juste indignation pour chaque paysage désolé, chaque famille déplacée, chaque rivière polluée, chaque langue et espèce éteinte, chaque travailleur opprimé, chaque activiste persécuté. Nous partageons le chagrin pour tous nos morts et nos disparus. 

Mais pour nos morts, nos disparus, nos territoires et paysages dévastés, il n'y aura pas de minute de silence. Car nous partageons avant tout la fureur de nos luttes et la clameur de nos résistances. De la nation Wet'suwet'en aux peuples Nahua ou Uitoto, en passant par les comités Amadiba, certains d'entre nous se battent depuis des siècles contre l'extractivisme colonial, sans jamais céder leurs terres. D'autres, depuis les fjords scandinaves jusqu'aux Alpes, quelques décennies - ou seulement quelques années. 

Nous avons des visions différentes. Nous utilisons des tactiques et des stratégies différentes, pas toujours en accord. Il y a ceux qui descendent dans la rue pour marcher et s'enchaîner à une mairie en signe de protestation. Il y a ceux qui organisent une assemblée, une grève, ferment un port et défendent leur territoire avec leur corps. Il y a ceux qui occupent des banques pour dénoncer les crimes et les complicités, et ceux qui parlent aux actionnaires. Certains partagent des photos et des messages de visibilité et de solidarité sur leurs réseaux. D'autres font des recherches dans des bases de données et diffusent des rapports. D'autres encore créent une bannière, une chanson, une affiche ou une performance de protestation. Il y a aussi ceux qui discutent et conçoivent des lois et des règlements, ceux qui sabotent et démantèlent des infrastructures, ceux qui préparent des ateliers, récupèrent des terres, organisent des coopératives, vont au tribunal ou ouvrent leur maison pour accueillir un exilé. 

Nous ne sommes pas d'accord sur tout. Mais la parole va et vient, et c'est dans notre pluralité que réside notre force. Nous sommes réunis pour défendre, chacun.e à sa manière, la vie, l'eau, l'air, la terre, les pratiques qui font vivre les biens communs et ouvrent sur la possibilité d'une véritable démocratie. Nous nous sommes réunis pour lutter pour une planète juste, digne et habitable, une maison pour les générations futures et les communautés actuelles. Notre moi collectif naît des rencontres et des relations qui font de nous ce que nous sommes : un écosystème qui aujourd'hui s'organise et se soulève.

II. Ce que nous voyons, ressentons et savons 

Nous voyons et ressentons une Terre blessée et malade. Un statu quo qui n'est pas - et n'a jamais été - viable. Une catastrophe civilisationnelle et une civilisation catastrophique qui menacent la vie elle- même, sa mémoire, son présent et sa possibilité de reproduction future.

Nous voyons et ressentons ce que les rapports scientifiques et les comités de recherche nous ont appris à appeler "changement climatique", et que les habitants de nombre de nos villages ont déjà nommé différemment, dans d'autres langues, auparavant. Nous le voyons et le sentons dans la chaleur de nos mers et de nos marées montantes, Nous le voyons et le ressentons dans les forêts qui brûlent, les puits qui s'assèchent, les ouragans qui se multiplient et s'intensifient, le soleil brûlant à midi, chaque été plus chaud que le précédent, et les récoltes de plus en plus mauvaises et imprévisibles. Nous le voyons et le sentons dans les milliers de morts causées par les inondations et les sécheresses. Nous le voyons et le sentons dans les corps perdus sous des radeaux et des bateaux, emportés par les courants migratoires de l'exil, pour le seul crime d'avoir cherché refuge sous d'autres horizons. Nous savons que ce que nous voyons et ressentons n'est pas le même partout. Et si le chaos est planétaire, il y a ceux qui le ressentent dans leur maison, leur ventre, leur peau, et ceux qui le lisent dans quelques reportages. 

Nous savons aussi que les causes ne sont ni fortuites ni cachées. Et que les responsabilités sont aussi asymétriques que ses maux : les plus responsables ne sont pas les plus touchés ; les plus touchés ne sont pas les plus responsables. De plus, pour certains d'entre nous, la dégradation progressive de nos conditions de vie n'est pas un phénomène récent, encore moins un présage annonçant un avenir plus ou moins proche. C'est la longue histoire de nos peuples colonisés. Une longue histoire de déprédation et de dépossession où l'accumulation et la concentration des richesses entre quelques mains se sont construites sur des paysages désertifiés, des terres volées et des cultures exterminées. Nous savons que l'assemblage de pratiques, d'institutions et d'infrastructures qui perpétuent aujourd'hui cette histoire à travers des hiérarchies racistes, anthropocentriques et de genre porte le nom de capitalisme. Et que pour satisfaire ses besoins de croissance perpétuelle, le capitalisme dépend de l'exploration, de l'exploitation et de l'extraction illimitées des ressources - et en particulier d'un type de ressources : les énergies fossiles. Les industries du pétrole, du gaz et du charbon sont non seulement de loin les sources les plus importantes des émissions de carbone qui réchauffent la planète, mais aussi le principal carburant de ces mêmes modes de production, d'accumulation et de consommation qui corrompent actuellement les démocraties et génèrent des guerres au nom du progrès. 

Nous voyons et sentons que l'extractivisme fossile se développe partout avec les mêmes schémas de fonctionnement. Ce sont les mêmes entreprises, les mêmes groupes avec des antennes locales qu'ils rebaptisent ad hoc, les mêmes banques et les mêmes investisseurs, qui prennent le pouvoir sur la planète. 

D'abord en saccageant les paysages et en détruisant les écosystèmes : Dans les montagnes centrales de la Sierra Madre Oriental, ils tentent de détourner le lit des rivières, privant des milliers de plantes, d'animaux et de personnes de sources d'eau, pour alimenter des parcs industriels et des puits de pétrole. Dans les archipels du Pacifique, la construction de dizaines de terminaux de gaz naturel liquéfié menace les récifs et la vie marine. Sur les côtes d'Amérique latine, des centaines de marées noires laissent derrière elles des poissons morts flottant dans les eaux. Nous le voyons et le sentons dans le silence laissé par les oiseaux disparus et dans les friches des clairières désolées. Là où il y avait une forêt, il y a maintenant un gazoduc. Là où la terre et l'eau polluées par la fracking ne produisent plus rien d'autre que de l'impuissance. 

Deuxièmement, nous les voyons et les ressentons dans la destruction des communautés, de leurs économies, de leurs territoires, de leurs langues et de leurs connaissances. La destruction des écosystèmes est aussi la destruction des moyens de subsistance des communautés locales. À Vaca Muerta, en Argentine, des familles mapuches ont été déplacées, et les pommes et les poires qu'elles cultivaient ne poussent plus parce que les sols sont devenus irrécupérables en raison de l'activité pétrolière. De même, dans la forêt amazonienne, des entreprises comme Perenco utilisent tous les moyens pour exploiter les hydrocarbures dans les réserves naturelles et sur les territoires des communautés indigènes non contactées ou volontairement isolées, mettant en péril leur existence physique et culturelle. En Ouganda, en Inde ou en Colombie, l'industrie fossile s'est emparée de terres par le mensonge et l'usage de la force. Au Sénégal, aux Philippines ou au Pérou, les mangroves sont détruites et l'accès à la mer des pêcheurs artisanaux est restreint pour construire des plateformes pétrolières et des ports d'exportation. Dans les territoires des Premières nations de ce que l'on appelle aujourd'hui les États-Unis ou le Canada, les entreprises détruisent des sites sacrés et intimident les communautés avec des armes, des amendes et des poursuites. Nous parlons de communautés divisées, de droits violés et de terres confisquées. De langues et de traditions qui disparaissent. D'autorités traditionnelles ignorées, méprisées, supplantées. 

Troisièmement, nous le voyons et le ressentons dans nos corps. Dans les maladies et les troubles qui apparaissent à proximité des sites du fracking. Dans la leucémie dont sont atteints les enfants de nos amis et de nos familles, et dans les affections pulmonaires des travailleurs des mines de charbon. Dans les dents éclatées et les membres perdus sur les plates-formes de forage. 

Quatrièmement, dans la corruption et la collusion des autorités étatiques et des organismes internationaux. Au plus haut niveau, les décrets autorisant les exploitations, les changements dans l'utilisation des terres, l'approbation des études d'impact environnemental et social, ou la taxonomie et le cadre réglementaire de la durabilité ont été construits sur la base de pots-de-vin et de lobbying des sociétés transnationales, pour promulguer des lois et des réglementations en faveur des intérêts du grand capital fossile. Les politiciens, les parlementaires et les agents techniques signent des concessions juteuses et produisent des rapports bien rémunérés pour justifier et permettre l'expansion industrielle, ce qui permet à des sociétés sans frontières ni drapeaux de continuer à opérer en toute impunité. 

Cinquièmement, dans la persécution et le meurtre de celles et ceux d'entre nous qui s'organisent pour protester. De l'Afrique du Sud au Mexique en passant par la Colombie, les activistes sociaux et les défenseur.e.s de la nature sont confronté.e.s à un harcèlement systématique, à la privation de liberté et souvent à des tentatives d'assassinat les visant, ou visant leur familles. Nous savons ce qu'est l'intimidation. Certains d'entre nous ont dû quitter leur domicile, fuyant des menaces de mort. D'autres ont injustement passé plus d'un an en prison. Certains d'entre nous savent même ce que c'est que de survivre à une tentative de meurtre. Nous avons pleuré plus d'un.e collègue, ami-e, connaissance ou parent.e assassiné.e simplement pour s'être exprimé.e, pour avoir osé défendre ce qui leur tenait à cœur.

Sixièmement, la précarité des classes populaires et l'accroissement des inégalités. La pauvreté énergétique est déjà une réalité palpable, même dans les pays européens. Avec les bombes qui grondent en Ukraine, la spéculation et l'inflation croissante, nous connaissons une augmentation significative des prix de l'énergie, affectant ceux qui ont le plus de mal à payer leurs factures. Les entreprises du secteur de l'énergie, quant à elles, ont réalisé des bénéfices records, en spéculant et en s'enrichissant sur les besoins de la population.

Nous savons que toutes ces choses que nous voyons et ressentons sont soutenues et financées par une série d'institutions et de mécanismes financiers qui bénéficient massivement de l'extraction des combustibles fossiles : les notations de crédit et les taux d'intérêt, les politiques économiques nationales, les traités de libre-échange et d'investissement, les conditions commerciales asymétriques qui génèrent une dette illégitime et poussent les pays du Sud à accepter des politiques extractivistes, imposées par la corruption et la violence.Toutes ces structures du capitalisme néolibéral sont conçues pour accumuler du capital dans les mains de quelques-uns, alimentant une spirale d'inégalité et de croissance sans fin. Ses mécanismes de fonctionnement dépendent d'un oligopole privé qui contrôle le crédit, les financements des banques et des compagnies d'assurance, de la complicité des gouvernements nationaux et des institutions internationales, et d’une conception du risque qui ne se préoccupe que des bénéfices économiques privés à court terme et non des risques pour la vie des personnes et de la terre.

Enfin, nous savons que ce que certains appellent la "transition ordonnée" est moins une transition qu'une reproduction de l'ordre existant. Que historiquement, il n'y a jamais eu de transition énergétique, mais plutôt une accumulation d'activités extractives et de ressources exploitées qui ne sont pas remplacées, mais qui s'ajoutent les unes aux autres : d'abord le charbon, puis le pétrole, et maintenant l'énergie éolienne et solaire ont été mis sur le marché sans jamais se remplacer l'un l'autre, et facilités par des pratiques semblables de violence, de spéculation, d'accumulation de capital et de consommation. Nous savons que ce sont les mêmes entreprises de l'industrie fossile qui tentent aujourd'hui de redorer leur blason en finançant des parcs éoliens, alors même qu'elles ouvrent des puits de fracturation et étendent leurs oléoducs ailleurs. Nous savons que les investissements de transition développent de nouvelles activités extractives avec des modes de fonctionnement tout aussi dangereux et agressifs : de la Casamance et Covas de Barroso au Magdalena moyen, les communautés et les écosystèmes sont confrontés à des mines de métaux rares, à la refonctionnalisation des infrastructures pour exploiter l'hydrogène et à la dépossession engendrée par les mégaparcs industriels. Nous savons que les mesures d'atténuation basées sur le marché, telles que les crédits carbone, ne font qu'accroître la privatisation des biens communs et la marchandisation de la nature. Nous savons que le vrai débat porte sur le contrôle du crédit, et que la vraie transition sera une transition écologique et économique, plurielle, communautaire et juste.

Parce que nous savons que tout ce que nous voyons et ressentons pourrait aussi être autrement. Il y a encore quelques décennies, la finance était au moins en grande partie publique, il y avait des mécanismes de contrôle et des limites aux flux de capitaux, pour garantir la souveraineté sur la politique monétaire et sur la destination des investissements. Aujourd'hui, les contrôles n'existent que sur nos vies, dans la militarisation et l'administration de nos territoires, et les réglementations ne sont formulées qu'en termes de stabilité financière, c'est-à-dire du maintien de la stabilité de l'accumulation et de la concentration du capital transnational. Les États, quant à eux, sont cooptés ou assujettis par des traités et des réglementations qui imposent des ajustements structurels et conditionnent la possibilité de concevoir d'autres types de politiques publiques. Et les institutions internationales et les forums intergouvernementaux au sommet de la pyramide du capitalisme transnational se cachent derrière des technicités et des comités d'experts pour maintenir la volonté politique de continuer à reproduire ce système néocolonial. Nous savons que ces institutions doivent être dénoncées, mises sous pression, contrôlées, réinventées, démantelées, et que le changement ne peut venir que de l'organisation de nos mouvements. Nous savons que nous ne sommes pas seul.e.s. Nous savons que pour rester ce que nous sommes, nous devons nous rencontrer et apprendre à nous connaître.

© Daniel Buergin

III. Ce que nous voulons, ce pour quoi nous luttons 

Au cours du Forum des Peuples, des organisations, des savoirs et des expériences provenant de régions éloignées de la planète se sont rencontrés. Des stratèges financiers belges se sont frottés à la sagesse ancestrale des Premières nations, des experts néerlandais en matière de risques et des dirigeants communautaires sud-africains se sont assis à la même table poir réfléchir ensemble. Au fur et à mesure que les intuitions issues de visions et d'héritages différents s'entrecroisaient, nous avons élaboré des stratégies visant à la réappropriation du crédit en tant que bien commun, l'autodétermination des peuples, et la démocratisation et la décolonisation de nos sociétés. Cela implique de résister et de réécrire les règles des institutions financières actuelles, et de construire des alternatives au capitalisme transnational.

Nous savons que la forme structurelle des infrastructures et des institutions capitalistes favorise le chaos climatique par le biais de modèles d'exploitation néocoloniaux. Nous sommes conscients du poids de ces structures de pouvoir dans le façonnement de nos sociétés et de nos paysages. Cependant, cela ne signifie pas que les institutions et les infrastructures telles qu'elles sont aujourd'hui doivent rester les mêmes demain. Les changements sont portés par des mouvements venant de la base, articulant des alliances improbables telles que celles que nous tissons ici. Dans les paragraphes qui suivent, nous avons rassemblé nos demandes communes concernant les institutions financières, les gouvernements du Nord et du Sud, ainsi que nos appels à tous les autres collectifs et ONG qui luttent pour une réalité financière plus juste et décoloniale - une réalité capable de traiter correctement les conséquences de la violence qu'elle a infligée et inflige encore à la planète, à ses écosystèmes et à ses habitants. S'attaquer au système financier doit donc être compris comme une étape d'un voyage plus long et plus large vers d'autres mondes possibles.

Des principes authentiquement démocratiques et décoloniaux guident notre ambition : le système financier doit émaner et servir la volonté des communautés locales et des écosystèmes, il doit œuvrer à la construction d'une société délibérative garantissant la participation et l'inclusion. Pour commencer, nous devons refonder le crédit, afin qu'il ne soit plus entre les mains de machines à faire du profit. Le crédit n'est rien d'autre que la permission d'employer une partie des forces productives de la société. Par le monopole de la création du crédit, les banquiers ont usurpé le contrôle de ce bien commun fondamental qui détermine les directions dans lesquelles la société évolue. Le crédit d'aujourd'hui est structurellement conçu pour servir des intérêts privés. Il faut en changer les finalités. Nous voulons un crédit coopératif au service des communautés. Un crédit conçu pour réparer les conséquences sauvages de l'extractivisme. Au lieu d'une promesse de paiement au service de l'accumulation, le crédit doit devenir l'engagement collectif en faveur de la régénération sociale et écologique, une promesse de récompenses pour tous.

Ensuite, nous exigeons des institutions financières et de tous les sommets associés qu'ils respectent l'autodétermination des peuples autochtones, ainsi que de toutes les autres communautés, rurales ou non, qui n'acceptent pas de renoncer à leurs modes d'organisation de leurs territoires et de leurs ressources au nom du profit. Les traités et conventions internationaux protègent le droit des peuples à l'autodétermination : la Convention 169 et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones doivent être respectées par les entreprises sur le terrain, et par leurs organismes de financement. Nous sommes déterminés à condamner tous les dirigeants, consultants et hommes d'affaires responsables des innombrables violations infligées à des myriades de territoires pollués, violés et ravagés.

Nous sommes déterminés à démanteler les systèmes de corruption, de désintégration et d'intimidation qu'ils ont imposés aux communautés, dont les sols et les mers ont été exploités, ne leur laissant que le choix désespéré d'accepter l'implantation d'infrastructures "modernes" mortelles. Nous sommes là pour nous réapproprier les compétences technico-économiques et les capitaux que le système financier a accumulés, en guise de compensation minimale de la dette qu'ils ont envers nous pour avoir anéanti nos moyens de subsistance. Nous ouvrirons un mode de vie alternatif qui garantisse notre subsistance sans devoir émigrer, sans grossir les rangs de la main-d'œuvre exploitée et sans remplir les rangs armés du crime organisé. Nous exigeons une compensation et une redistribution technique et financière systématique pour toutes les communautés engagées dans la défense de leurs terres contre l'expansion de l'industrie des combustibles fossiles ; pour toutes les communautés qui doivent faire face à ce qu'ils leur ont laissé : terres infertiles, rivières polluées, gosses du pétrole, viols des camps d'hommes, écosystèmes marins détruits, augmentation des leucémies et de diverses maladies. On ne permettra pas aux banques, aux sommets financiers et aux comités financiers de prétendre travailler à la construction d'un monde durable.

Les institutions financières sont responsables

Les institutions internationales et les instances de régulation - telles que le Conseil de Stabilité Financière (CSF), le Comité de Bâle pour le Contrôle Bancaire (CBCB), l'Association Internationale des Contrôleurs d'Assurance (AICA), ainsi que les régulateurs financiers nationaux, les superviseurs et les banquiers centraux doivent être obligés de reconnaître la primauté des droits de l'homme et de l'environnement sur tout accord de commerce ou d'investissement. Pour ce faire, les ministres des Finances du G7 et du G20 doivent convenir qu'une définition radicalement différente du risque est un élément essentiel de la réforme financière systémique pour la sécurité environnementale et climatique. Les ministres des finances du G7 et du G20 doivent clarifier les mandats des organismes internationaux, des régulateurs et des superviseurs afin de s'assurer qu'ils considèrent explicitement le changement climatique et les dégradations environnementales et sociales comme les principales menaces pour l'humanité et le système financier lui-même. Notre vie n'est pas négociable.

Les acteurs financiers doivent cesser de se cacher derrière des complexités et des calculs, ils doivent cesser d'utiliser leurs études d'impact comme couverture pour ignorer les impacts environnementaux et sociaux de leurs actions. Autant que les entreprises opérant sur le terrain, ils sont coresponsables de chaque défenseur de l'environnement assassiné, de chaque pêcheur affamé et de chaque rivage noirci. Les entreprises et les institutions d'investissement doivent être tenues responsables du suivi, du contrôle et de l'audit des projets, non seulement pour éviter l'instabilité économique, mais aussi pour garantir la viabilité socio-environnementale. Il faut instaurer une responsabilité civile, pénale et administrative conjointe tout au long des chaînes de production mondiales : toutes les parties impliquées dans un projet, y compris les investisseurs et les agences d'évaluation des risques, devraient être responsables de tout ou partie du projet qu'elles ont parrainé ou financé. La distance entre la source du capital et son impact sur un territoire éloigné ne doit plus être un ticket pour l'impunité.

Le principe de précaution exige une approche prospective de la planification et de la réglementation financières, ainsi que la prise en compte des effets à long terme du changement climatique et de la perte de biodiversité que les activités extractives ont sur les écosystèmes. Un principe de précaution décolonial exige de trouver un équilibre entre la nécessité d'une cohérence mondiale et la reconnaissance du fait que certains des territoires historiquement colonisés et soumis, et certaines communautés défavorisées dans les pays riches, peuvent avoir besoin de plus de temps et de soutien pour mener à bien ces réformes.

© Daniel Buergin

Des mesures adéquates doivent être imposées 

Sur la base de ces deux principes de coresponsabilité et de précaution, des mesures adéquates doivent être imposées pour répondre à toutes les demandes suivantes :

Premièrement, nous demandons la reconnaissance cruciale des droits fondamentaux des communautés indigènes et traditionnelles, ainsi que le respect de leurs modes de vie et de leurs systèmes de connaissance. Entre autres, les institutions financières doivent respecter le droit de ces dernières à un consentement libre, préalable et informé (CLPI) et à une consultation préalable contraignante en ce qui concerne les projets susceptibles d'affecter leurs territoires ou leurs modes de vie. Une attention particulière sera également accordée au Droit de Dire Non, qui renforce le droit fondamental des communautés en général, qu'elles soient autochtones ou non, de rejeter des propositions, si les résultats des négociations ne sont pas satisfaisants. Ce concept crucial amplifie les voix des communautés et exige des entreprises qu'elles valorisent la sagesse indigène et le droit coutumier. Nous concevons donc le droit de dire non comme un outil en faveur de l'autodétermination et de l'autogouvernance, permettant aux communautés de façonner leur propre modèle de croissance grâce à des approches locales et à des législations locales.

Deuxièmement, nous demandons que le soutien financier aux combustibles fossiles soit supprimé immédiatement. Pour le bien de l'humanité, de la nature, du climat et de la stabilité financière, les régulateurs financiers et les banques centrales doivent faire en sorte que l'ensemble du secteur financier se détourne de l'industrie des combustibles fossiles, qui est à la fois destructrice et risquée. Il s'agit d'une responsabilité envers les générations passées, présentes et futures. Plus concrètement, nous demandons les réformes financières concrètes suivantes, qui représentent les premières étapes pratiques dans la direction nécessaire :

a. Application de la règle prudentielle "un pour un" pour tout financement de l'industrie fossile. C'est-à-dire un cadre réglementaire qui exige que les banques et les compagnies d'assurance garantissent 100 % avec leurs propres ressources (capital) tout financement qu'elles accordent aux entreprises et aux projets de combustibles fossiles, étant donné le risque inacceptable encouru (impliquant la déforestation ou la dégradation de l'écosystème). Application d'un volant de sécurité dédié pour le risque systémique, afin de refléter la dimension systémique du changement climatique, qui affectera les entreprises et les institutions financières dans l’ensemble de l’économie et dans toutes les régions du monde.

b. Révision du seuil de grande exposition, et de la pondération des risques de crédit pour les expositions soumises à des risques de transition élevés au-delà du secteur des combustibles fossiles.

c. Prise en compte des risques liés à la biodiversité dans les règlements existants pour les institutions financières. 

Le CSF devrait prendre en compte le changement climatique, la dégradation de l'environnement et la perte de biodiversité dans une perspective plus large concernant la stabilité financière, au-delà des secteurs de la banque et de l'assurance. Le principe de la double matérialité devrait être au cœur de ces considérations : d'une part, les institutions financières sont confrontées à des risques financiers en raison de leur dépendance à l'égard du climat et de la nature ; d'autre part, Ils facilitent les activités destructrices du climat et de la nature, qui augmentent les risques pour la planète et ces institutions elles-mêmes. Les organismes internationaux de normalisation - le CBCB et l'AICA - devraient revoir leurs règles et mettre en œuvre les mesures nécessaires, comme indiqué ci-dessus.

a. Le CSF, le CBCB et l'AICA doivent être amenés à confirmer un calendrier accéléré des résultats attendus et à annoncer des feuilles de route pour ce nouvel agenda.

Troisièmement, nous devons imposer que les droits de l'homme et de l'environnement prévalent sur les profits des entreprises. Les entreprises et les institutions financières doivent être réglementées au niveau national et international en vertu des droits de l'homme et du droit de l'environnement, et être tenues légalement responsables de toute violation de la santé, de la vie, de l'eau et de l'autodétermination des peuples - des droits de l'homme fondamentaux qui sont systématiquement menacés par les industries extractives. Cela signifie qu'aucun soutien financier ne devrait être autorisé pour soutenir des activités qui conduisent à la déforestation et à la destruction d'écosystèmes critiques tels que les mers, les zones humides, les forêts tropicales et la cryosphère. Les projets ne peuvent et ne doivent pas détruire ou briser les cycles de régénération naturelle des écosystèmes, détruisant ainsi leur résilience et leur capacité à donner la vie.

Quatrièmement, nous demandons à toutes les grandes institutions financières de décoloniser la finance mondiale. Leur fonction doit être fondamentalement transformée pour répondre aux besoins des pays du Sud et des générations à venir. Les pièges actuels de la dette associés au développement et à l'aide en cas de catastrophe, les systèmes injustes de notation du crédit, le contrôle exercé par le Nord sur l'attribution des droits de vote et de l'attribution des réserves du Fonds monétaire international (FMI), l'ajustement structurel et les mesures d'austérité, entre autres politiques, sont tous des éléments qui soutiennent les pratiques coloniales. Il est essentiel de promouvoir une représentation équitable des nations du Sud et de leurs banques centrales dans les espaces de prise de décision financière et dans l'établissement des normes mondiales.

Cinquièmement, le Sud Global "doit" des milliards de dollars de dettes et, en même temps, possède des milliards de dollars de combustibles fossiles qu'il est forcé d'extraire pour la payer. Cette dette a été contractée par la dictature et la corruption des transnationales, imposées par l'agenda néocolonial du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et du G7. Elle est donc illégitime et doit être annulée. Parce qu'elle empêche les pays de développer des politiques publiques en faveur de leurs populations. Annuler la dette du Sud, c'est lui garantir un espace politique et économique pour développer des politiques de protection de modes de vie différents, centrés sur la reproduction de la vie, des communautés et des écosystèmes. Annuler cette dette, c'est créer la possibilité d'une transition énergétique juste et autodéterminée. C'est retrouver la capacité d'investir au lieu de se voir imposer les impacts d'investissements venus d'ailleurs.

Toutes les forces d'opposition doivent s'élever contre le capitalisme transnational. Le système financier doit être forcé à changer.

Nos revendications politico-financières sont ambitieuses, écrites avec l'intention spécifique de remettre en question les racines du système qui contrôle 90 % du capital disponible dans le monde. Nous commencerons à travailler à leur concrétisation dès maintenant. Nous déclarons ainsi notre engagement à renforcer les processus de résistance des alternatives locales, autonomes et communautaires qui luttent contre le capitalisme vert et pour la création d'économies de subsistance et d'autosuffisance. Nous invitons toutes les organisations, tous les collectifs et tous les individus qui en ont les moyens à saisir leur chance dès maintenant. Toutes les campagnes internationales et intersectionnelles existantes qui luttent contre l'impunité des entreprises, la dette climatique, la dépossession des terres et des territoires, la pauvreté énergétique et le financement des projets extractivistes devraient tisser leur réseau et se lever ensemble. Nous dénonçons également publiquement la persécution systématique des activistes et des défenseurs de la nature dans le monde entier, et appelons à la création de mécanismes de protection et de réseaux de soutien et de solidarité qui garantissent leur sécurité.

Nous demandons à toutes les forces d'opposition et aux personnes engagées d'affronter les institutions qui régissent le capitalisme transnational et de lutter pour une transformation radicale de nos systèmes économiques et financiers. Nous invitons à des actions et des mobilisations dans le monde entier pour faire pression sur les régulateurs, les organismes de normalisation, les banques centrales, les agences de notation et les autres acteurs financiers pour qu'ils prennent en compte les risques climatiques et sociaux à long terme lorsqu'ils définissent leurs politiques et évaluent le degré de risque des entreprises.

Nous luttons pour la chose la plus simple qui soit : une planète commune et vivable. Un monde où la vie et la différence sont chéries, plutôt que standardisées et vendues. Un temps qui reconnaît les passés traumatisants et aborde les présents incertains pour permettre à de multiples futurs de s'épanouir. Nous luttons pour des modes de vie post-extractivistes, où le pouvoir et le crédit appartiennent à nos communautés, et non aux intérêts privés et aux entreprises. Nous luttons pour l'autodétermination de nos peuples et la démocratisation de nos sociétés. Nous luttons pour des modes de relation qui ne sont ni capitalistes, ni coloniaux. Nous luttons pour la réappropriation du crédit et la fin de la finance fossile.